L’Egypte était-elle une colonie française en 1798-1799 ?

            La conquête de l’Egypte répond à une volonté de braver l’Angleterre en coupant l’une des routes commerciales qui relient la Grande Bretagne à ses possessions en Inde. Mais le projet est ancien. Il a été développé dans les bureaux du ministère des Affaires étrangères, au lendemain de la signature du traité de Paris de 1763 par lequel la France perd ses colonies au Canada et partiellement en Inde. En envisageant alors de s’emparer de l’Egypte, possession de l’empire ottoman, les diplomates français souhaitent substituer aux territoires perdus une nouvelle colonie. Qu’en est-il un quart de siècle plus tard ?

(Extrait Napoléon 1er – Revue du Souvenir Napoleonien N°94 )

Une installation durable

Au moment où l’expédition d’Egypte est envisagée, la France a perdu une partie de ses colonies, occupées par les troupes anglaises comme la Martinique ou vivant de manière autonome comme Saint-Domingue. L’Egypte doit donc permettre de remplacer ces contrées sorties du giron de la France. C’est ce qu’exprime Talleyrand dans une lettre à Bonaparte, le 23 septembre  1797. « L’Egypte comme colonie remplacerait bientôt les productions des Antilles et, comme chemin, nous donnerait le commerce de l’Inde».

L’intention initiale de Napoléon Bonaparte, négociée avec Talleyrand, était d’éviter que la Porte n’entre en guerre contre la France. C’est pour convaincre le sultan de la bonne foi des Français que Talleyrand aurait dû se rendre à Constantinople. De son côté, à la veille de débarquer, Bonaparte multiplie les déclarations annonçant que le but de l’expédition est d’entraver le commerce anglais, mais aussi de punir les beys accusés de s’en être pris aux commerçants français. Il s’agit évidemment d’un prétexte qui vise à retourner l’opinion égyptienne, en expliquant à la population qu’elle subit le joug des mamelouks dont l’armée française viendrait la libérer. A certains égards, cette armée entend agir en Egypte comme elle l’a fait en Europe, en annonçant qu’elle est porteuse des idéaux de la Révolution, les vingt-quatre beys qui se partagent le pouvoir étant assimilés aux représentants de la féodalité.

De fait, après la victoire des Pyramides, le 21 juillet, Bonaparte lance un appel aux cheiks et notables du Caire, les invitant à coopérer avec l’armée française. C’est le début d’une politique d’assimilation engagée dès l’entrée des Français au Caire. La capitale sert en effet de laboratoire à la mise en place d’une administration française. Le général en chef instaure au Caire un Divan, assemblée consultative comprenant neuf notables chargés de collaborer avec l’armée française pour les questions d’administration et de ravitaillement. Une première mesure est prise avec la nationalisation des biens des Mamelouks. Pour superviser cette nationalisation, une commission administrative est créée qui comprend trois membres : les savants Monge et Berthollet, ainsi que le consul Magellon. Elle a aussi pour mission de donner son avis sur la nomination des agents français nommés au Caire et dans les diverses provinces du pays. Le divan doit également former des commissions chargées notamment de la police des marchés. Est aussi créée une commission chargée de la salubrité de l’air de la ville. Elle doit contrôler les boucheries, faire enterrer les morts et plus généralement « purger la ville de toutes les immondices qui tendent à corrompre l’air ». Bonaparte donne des ordres pour faire détruire les portes qui fermaient les divers quartiers de la ville au grand mécontentement des Cairotes. A l’inverse, le divan est aussi chargé des distributions de vivres à la population ou de l’organisation des fêtes. …

Jacques Olivier Boudon
Professeur à Sorbonne Université
Président de l’Institut Napoléon

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